Wednesday, April 29, 2009

Haïti : « La dynamique va dans le bon sens »



« D’énormes progrès ont été réalisés dans la république caribéenne mais, il y a encore un long chemin à parcourir », estime Louis Joinet, observateur des droits de l’homme en Haïti depuis 2002 et doyen des rapporteurs spéciaux de l’ONU.


Pourquoi parlez-vous de progrès en Haïti aujourd’hui alors que de nombreux kidnappings ont encore lieu ?


Il y a une inversion de la dynamique dans un sens positif. Pour savoir s’il y a ou non des progrès, j’ai refait la liste de chaque recommandation que j’ai proposée depuis le début de mon mandat en 2002. Dans ce rapport, j’accorde très peu de place au monitoring, qui équivaut dans mon mandat à la dénonciation. J’opte de préférence pour la suite donnée à mes recommandations. Mon mandat contrairement à d’autres mandats de rapporteur est double : il porte aussi sur la coopération, pour proposer des remèdes.

Je constate d’abord des avancées significatives dans le domaine de la sécurité : démantèlement de gangs, arrestation de chefs de gangs, notamment, réduction du cancer qu’a été le kidnapping. La dynamique va dans le bon sens. Ce qui permet de dire que l’omerta, cette loi du silence qui régnait dans des quartiers de non-droit comme Martissant ou Cité Soleil était plus liée à la poigne voire à la terreur exercée par les chefs de gang qu’à une habitude populaire.

Le processus de certification de la police nationale progresse-t-il ?

Sans attendre le lancement officiel de cette procédure, l’inspection générale de la police nationale a mené des enquêtes qui ont conduit à des résultats significatifs : 57 agents de police suspendus, 35 révoqués et 2 rétrogradés. La certification est programme un important où une enquête sera menée par l’Inspectorat général pour les policiers et ensuite probablement pour les magistrats, département par département et au cas par cas. Casier judiciaire, niveau d’étude, compte bancaire, avoirs, relations entretenues avec des ambassades étrangères, enquête de voisinage - à laquelle je ne suis pas favorable compte tenu du syndrome de la rumeur trop répandu en Haïti et provoquant trop d’injustices- rien ne sera négligé.
La réforme judiciaire traîne encore. Que se passe-t-il ?
Quand vous revenez à l’égalité constitutionnelle, à un État de droit, il y a beaucoup de gens qui commencent à en avoir peur, à être mécontents, ils sont empêchés de continuer les magouilles relatives à la corruption, les trafics… Ces gens peuvent devenir dangereux. Chacun sait que certains parlementaires ne sont pas des champions de la lutte pour la transparence et pour la légalité. Heureusement, la majorité des parlementaires soutiendra ce projet.

Avant, tout était de la responsabilité du gouvernement. On gouvernait sans Parlement. Maintenant, il y a un Parlement élu. Beaucoup de parlementaires manquent d’expérience, les ministres aussi. Donc, ça marche un peu difficilement. Mais, le gouvernementa affirmé sa volonté politique, il commence à passer aux actes. La commission sur la réforme de la justice a été créée à l’initiative du président René Préval lors d’une réunion convoquée au Palais national avec l’ensemble des acteurs publiques et des membres de la société civile.

Cette réunion, semble-t-il, vous a marqué. Pourquoi ?

Durant mes vingt huit ans de lutte pour les droits de l’homme, cela a été l’un des moments les plus forts pour moi. C’est la première fois que j’avais l’impression que je ne venais pas en Haïti pour enquêter, dénoncer mais pour avoir une vraie réunion de travail avec des gens qui veulent essayer de prouver que c’est possible. Cette réunion a donné lieu à la création d’un comité de suivi de ces rencontres. C’est également pour la première fois qu’un rapport sur la réforme de la justice est élaboré par des Haïtiens, pour les Haïtiens. Sans l’utilisation de la « langue de bois ». C’est une innovation.

Pensez-vous que le président Préval pourra maîtriser la corruption ?

Il y a une volonté patente du président de la république. Lors de la réunion précitée, j’ai insisté sur cinq points : la coordination comme impératif de réussite, l’équilibre à trouver entre la coopération des milieux bancaires et les unités de lutte contre la corruption, l’importance du distinguo entre « macro » et « micro » corruption, le projet de « loi portant déclaration de patrimoine » par certaines catégories de personnalités politiques, de fonctionnaires et autres agents publics, enfin l’importance de la coopération internationale et d’un soutien politique fort.
Le récent démantèlement du réseau de narco-trafiquants de Léogâne est sans précédent. Plus de 400 kilos de cocaïne saisis, cinq policiers arrêtés dont un haut-gradé de la direction centrale de la police judiciaire.

Un mot spécial au peuple haïtien ?


Mon gros problème, c’est que je suis tombé amoureux de ce peuple. En 28 ans à l’Onu c’est là que j’ai eu l’émotion la plus forte. Ce peuple est impossiblement débrouillard. J’ai visité récemment le quartier des pièces de voiture, c’est étonnant. Ils fabriquent des pièces qu’on ne trouve plus. Et puis, la culture, les peintres, les poètes… je suis tombé amoureux du peuple haïtien.
18 juin 2007

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