Tuesday, April 28, 2009

SÉGUIN / RÉALITÉS NATIONALES / Des paysannes comme des bêtes de somme !



Sur la route menant au Parc La Visite, Séguin, dans le département du Sud’Est, des va-et-vient incessants de piétons. On dirait des coureurs de 100 mètres. Pour la plupart, des femmes coltinant des tonnes de charges de légumes ou de lots de poules. Pour subvenir aux besoins de leur famille, pareilles à des bêtes de somme, elles effectuent, quotidiennement, environ dix heures de marche.


Micheline ne faisait pas la sixième année fondamentale quand elle a quitté l’école. Elle avait alors dix-huit ans. Aujourd’hui, elle n’a pas encore trente ans, pourtant elle a toute la lassitude d’une femme d’au-delà de la quarantaine. Le long trajet pédestre, soit environ huit heures par jour, six jours sur sept, de Séguin à Furcy et vice-versa, a fini par l’user.

« J’ai trois enfants. Pour les nourrir, les envoyer à l’école, je dois me sacrifier. Donc, je laisse Séguin chaque jour à trois ou quatre heures du matin pour écouler mes produits au marché de Furcy. Quand la vente n’est pas au rendez-vous, je me rends en ville, à Croix-desBossales », explique-t-elle, ruisselant de sueur sous le poids de lourdes charges de légumes. « N’est-ce pas Dieu qui a dit qu’il faut gagner son pain à la sueur de son front », philosophe-t-elle, toute souriante.

Dix heures de route … par jour

Visage labouré de rides, Lonize, quarante ans, habite Chaudry, un quartier de Belle-Anse dans le Sud’Est. « Moi, je suis agricultrice et à la fois commerçante. C’est incontournable d’effectuer la longue marche vers Furcy pour écouler nos marchandises ; notre survie et celle de nos familles en dépendent », confie-t-elle. « Quand cela ne marche pas, je reste ici pour le lendemain. S’il n’y a pas assez de revenus, je vais au marché de la Croix-des-Bossales », dit-elle, un tantinet épuisée.

En provenance des quartiers limitrophes de Séguin comme Baie d’Orange, Mabri, Chaudry, Fonds Jean-Noël…, les paysannes portent de lourds poids sur la tête. Elles se rendent à Kenscoff, au marché de Furcy ou à Port-au-Prince, au marché de la Croix-des Bossales. La plupart d’entre elles effectuent un trajet aller-retour de dix heures par jour. Pour atteindre Kenscoff (Furcy) à l’heure du marché, les commerçantes de Chaudry se lèvent à deux heures du matin, affrontant le froid et le noir effrayant de la forêt La Visite ainsi que les abrupts sentiers, ceinturés de falaises. Elles portent des manteaux de cuir ou de laine, d’épaisses chaussettes multicolores et de lourdes godasses.

Habitude aidant, la corvée du trajet est paradoxalement devenue, pour elles, une partie de plaisir.Sur la route, sourires, salutations et rencontres amicales se multiplient à mesure que les heures passent et que les kilomètres sont parcourus. Les femmes déambulent à la hâte les pentes raides des mornes, dont la plupart servent aujourd’hui pour les plantations des agriculteurs*.

Piliers de la société, les femmes haïtiennes ne ménagent pas leurs efforts pour assumer leurs responsabilités. En dépit de divers problèmes de marginalisation, elles continuent de jouer un rôle prépondérant dans la production agricole et dans le système interne de commercialisation. Ce n’est pas pour rien qu’Haïti a le taux le plus élevé de femmes actives dans l’Amérique latine et la Caraïbe.

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*Sur la route menant au Parc La Visite, les agriculteurs exploitent tous les terrains vides, même ceux des zones dites réservées ou protégées, pour cultiver des légumes (carottes, poireau, patate…). Culture qui, aujourd’hui, rapporte peu en raison de l’impraticabilité de la route. Joe, agriculteur frisant la soixantaine, explique que cette route servait autrefois de tremplin aux camions transportant les pins de la forêt. Ils s’y rendaient par dizaines. L’agronome et ancien ministre Yves-André Wainright a , en maintes occasions, déploré le peu de volonté manifesté par l’État haïtien dans le dossier du Parc La Visite.

mercredi 29 octobre 2008

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