Monday, July 13, 2009

Nou pap dòmi bliye

Notre collaborateur au Matin, écrivain de renom, poète engagé, voyageur, chercheur ... Lyonel Trouillot, vient de publier ses réflexions autour de "l'assassinat " de Jacques Roche, ancien responsable de la section culturelle du Matin - poste qu'occupe Trouillot depuis tantôt 2 ans- Dans cet article, l'écrivain appelle à une conscience nationale pour une meilleure Haïti. "Quatre ans après, écrit Trouillot, les questions que l’on se posait à l’heure des événements demeurent, et les réponses continuent de manquer." ON N'A PAS LE DROIT D'OUBLIER.


Il y a quatre ans se produisait l’un des crimes les plus odieux de notre histoire : Jacques Roche, poète, journaliste, animateur culturel, était victime d’un enlèvement aux abords de son domicile le 10 juillet. Le 15 juillet, soit une semaine avant son anniversaire (il aurait eu 44 ans le 21), son cadavre mutilé était exposé à Delmas. Bras cassés, langue coupée… Inutile de revenir sur les détails de l’horreur. La haine s’associait à la crapulerie. La société, dans son ensemble, avait condamné le crime. La corporation des journalistes s’était mobilisée dans un geste d’unité pour lui rendre hommage.


Quatre ans après, nous n’avons pas le droit d’oublier. Quatre ans après, les questions que l’on se posait à l’heure des événements demeurent, et les réponses continuent de manquer. Pourquoi ? Crapulerie ? Recherche de richesse facile ? Utilisation politique du banditisme ? Jacques ne mâchait pas ses mots et avait parfois prêté sa voix aux mots des autres.


Et comment une société pouvait-elle générer autant de haine ? Ni l’établissement d’un dossier judiciaire complet, ni une analyse approfondie des causes et du fonctionnement du banditisme et de ses rapports éventuels avec certains courants ou certaines personnalités politiques ne permettent d’affirmer quoi que ce soit de précis et de définitif. C’est pour cela aussi que nous n’avons pas le droit d’oublier. Mais l’on pourrait aussi parler de sa vie.


Comme un grand nombre de jeunes, talentueux et se cherchant à la fois des conditions décentes d’existence et une dignité de citoyen d’Haïti et du monde, il avait eu beaucoup de mal à se trouver et à se faire une place. Il n’y avait pas longtemps qu’il s’était trouvé un emploi stable et les moyens de diffuser son œuvre poétique. Il n’y avait pas longtemps depuis que le jeune homme turbulent et impulsif s’était apaisé, sans mollir ni se trahir. On ne peut oublier combien les Jacques Roche de ce pays ont vécu d’années de galère. Productif, utile, en pleine construction de lui-même, Jacques paraissait enfin avoir vaincu un certain nombre d’obstacles quand le pire l’a surpris.


Avec le souvenir d’un homme qui méritait de vivre, d’un homme qui manque à sa famille, à ses amis, à ses collègues, à la communauté des journalistes et des créateurs, le triste anniversaire de l’assassinat de Jacques Roche doit servir à tous de rappel que nous ne sommes pas à l’abri du pire. N’oublions pas de quelles monstruosités la société dans laquelle nous vivons est encore capable. N’oublions pas les immenses efforts qu’il faudra accomplir pour donner forme et vie à ces deux mots si chers à Jacques : la justice et la liberté.




Le Matin, lundi 13 juillet 2009

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